Justice
Haiti/Justice: Que penseraient mes justiciables !

Vielle histoire de la basoche. Le Président Sténio VINCENT en route pour le palais, venant de Pétion-Ville, rencontra un magistrat réputé, attendant une ligne comme on disait alors. Il lui offrit une place dans la voiture présidentielle. Le Magistrat refusa poliment en remarquant. « Que penseraient mes justiciables Monsieur le Président s’ils m’apercevaient dans votre voiture ». Il affirmait avec beaucoup d’à-propos le principe de l’indépendance judiciaire qui est inhérent surtout au caractère du magistrat appuyé par une législation adéquate.
Autre temps, autres mœurs ! Combien de magistrats bouderaient aujourd’hui une proximité présidentielle sur une question de principe ? Alors que la justice est dysfonctionnelle au pays, que le Palais de justice de la capitale est situé en zone de tourmente, que la liberté individuelle ne demeure qu’une expression, que les jeunes avocats fuient le pays parce que leur ministère n’est plus recherché, que la détention préventive explose alors qu’elle devrait être l’exception, des magistrats membres du CSPJ plaident à la radio de façon intéressée pour prendre en otage le processus de nomination des Juges à la Cour de Cassation de la République.
Après avoir mené campagne pour la mise en place du Conseil du Pouvoir Judiciaire pour rendre effectif le pouvoir judiciaire qui contrairement au Pouvoir exécutif et législatif, ne disposait pas d’un organe de direction, je me suis demandé lors de l’installation du CSPJ si j’avais mené le bon combat. Les risques de dérive étaient apparents.
Le système judiciaire sous constante attaque pendant le régime du Docteur François DUVALIER avait perdu beaucoup en dignité et est devenu actuellement pratiquement inopérant malgré les efforts de plusieurs animés de bonne volonté.
La publication des arrêts de la Cour de Cassation a cessé depuis 1959. Ainsi une publication méritoire de ces arrêts par Maître Louis Garry LISSADE couvre la période 1825 à 1957. Pendant ces 65 ans, aucun moyen d’apprécier l’évolution ou même l’état de la jurisprudence. Aucune revue juridique n’est disponible comme la « Cazette du Palais » et le « Journal des débats » qui ont été emportés. Les praticiens et les chercheurs sont obligés de fonctionner sans jurisprudence et sans doctrine.
La population s’attendait à une nouvelle ère après le départ le 7 février 1986 du Président Jean-Claude DUVALIER. Au niveau de la Justice, la communauté internationale s’est attelée à réformer le système judiciaire sans tenir compte de ses besoins et de ses spécificités. L’Ecole de la Magistrature a été importée du système juridique français. Les avantages tirés de cette importation, ne sont pas probants alors qu’elle serait la source de déséquilibres importants.
Le système haïtien comme celui de la « common law » n’était pas compartimenté. Avocats et magistrats venaient du barreau. Ils participaient à la même communauté juridique. Ce système a fait ses preuves depuis l’indépendance. Le droit haïtien et le droit français ont eu une évolution différente. La judiciaire constitue en Haïti un pouvoir ce qui n’est pas le cas en droit français où on parle plutôt du service de la justice.
La Commission de refonte des codes a été supprimée. Il semble plus facile en petit comité, de reproduire les codes français et de les adopter par décret présidentiel, sans tenir compte des différences inhérentes aux deux systèmes. Le code rural haïtien est tributaire de notre histoire de peuple et des particularités du pays en dehors. Toute refonte de nos codes, devrait être soucieuse de ces différences auxquelles seraient sensibles une Commission haïtienne de refonte des codes.
La constitution du Conseil Supérieur du Pouvoir judiciaire a fait l’objet de débats intenses. Certains le considéraient comme un club de magistrats excluant tout autre secteur de la société. L’opinion des barreaux était différente. A leur avis le Conseil de direction du pouvoir judiciaire ne concernait pas seulement les magistrats mais la population en général. Ils obtinrent que deux sièges soient réservés à la société civile, l’un aux barreaux et l’autre à des organisations des droits de l’homme. La révision de la composition du CSPJ s’impose. Des réflexions en profondeur sont indispensables.
La campagne menée actuellement par des magistrats contre l’incorporation d’avocats à la Cour de Cassation se présente sous une acuité aiguë du fait qu’une fois de plus, les Institutions de la République sont dysfonctionnelles. La procédure constitutionnelle devant le Sénat se révèle impossible. Les membres du CSPJ ont adopté une position corporatiste en s’insurgeant sans considérations sérieuses aux candidatures des avocats que lui ont transmis le Ministère de la Justice et de Sécurité Publique en se basant sur la loi du 27 novembre 2007, portant statut de la Magistrature.
L’article 23 paragraphe 1 dispose que « Pour être intégré à une Cour d’Appel, un avocat doit avoir au moins 18 ans d’exercice de la profession ». A leur avis cet article abrogerait les dispositions contenues à l’article 15 du Décret du 22 août 1995 sur l’organisation judiciaire.
L’article 23 paragraphe 1 de la loi du 27 novembre 2007 ne peut être interprété comme excluant tout avocat de la possibilité d’accéder à la Cour de Cassation. Tout au plus, il crée une controverse sur le fait qu’on exigerait plus de temps de pratique d’un avocat pour accéder à la Cour d’Appel que pour la Cour de Cassation.
Le CSPJ ne peut se livrer à pareille interprétation abusive surtout que selon l’article 128 de la Constitution « L’interprétation des lois par voie d’autorité n’appartient qu’au pouvoir législatif, elle est donnée dans la forme d’une loi ». A rappeler que le Sénat de la République, l’un des auteurs de la Loi du 27 novembre 2007, lors de récentes propositions au Pouvoir Exécutif, avait tranché en présentant la candidature d’avocats.
Pour l’instant, le CSPJ est prisonnier de la loi. Le comportement de ses membres restants, rend perplexe. La Fédération des Barreaux d’Haïti et l’Ordre des avocats de Port-au-Prince ont condamné ce corporatiste étroit qui a des relents de déjà vu du club de magistrats. Nul étonnement si une ingérence internationale, serait cachée.
Quant au spectacle lamentable de radio-activiste d’un membre zélé du CSPJ, tout avocat dont le nom aurait été soumis par le Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique, peut le récuser en fonction de ses vues clairement exprimées pour qu’il soit exclu du processus de nomination.
Et enfin Messieurs « Que pensent vos justiciables ! ».
Gervais CHARLES, av.