
Éducation et Société : Une approche systémique !
Ce fut le thème d’un important colloque tenu en juin 2009, à l’Université Privée Africaine Moderne (UPAM), Dakar, autour de l’héritage ou cadeau empoisonné de l’éducation française et ses effets délétères au fil de l’histoire sur le développement ultérieur des anciennes colonies, dont Haïti constitue la preuve irréfutable.
Plus d’une décennie après, un lecteur passionnément curieux revisite les actes de ce colloque richement bénéfique qui, aujourd’hui encore, planent sur l’architecture endurcie d’une élite haïtienne inféodée à l’Occident et à ses valeurs au mépris des savoir-faire locaux. En voici la synthèse :
Haïti fait deux (2) erreurs logiquement incroyables.
- La première, c’est de penser que ceux et celles qui ont fait les meilleures études sont les plus intelligents. Vu sous cet angle et bien d’autres, Intelligence = Étude. C’est faux !
- La deuxième, c’est de penser parce que vous avez fait les meilleures études, vous êtes le plus à même de prendre des décisions. C’est archi-faux !
Il n’y a aucun rapport entre les deux. Et l’un ne peut se substituer à l’autre. C’est là ce que disait Confucius : «Quand les mots changent de sens, les royaumes deviennent ingouvernables.»
À partir de ces deux (2) erreurs cumulatives, on a bâti un système d’éducation qui s’élève, et qui s’élève et fait monter les gens qui ont une ‘‘mémoire de cheval’’ mais qui n’ont ‘‘aucun caractère.’’ Ils ont bel et bien l’esprit enchainé ! Ces deux (2) caractéristiques, sans doute aucun, sont inhérentes aux élites haïtiennes. Et, pour paraphraser Hawking, comme l’ennemi de la connaissance n’est pas l’ignorance mais plutôt l’illusion de la connaissance, il en résulte l’existence d’une société piteusement fondée sur le vide, le creux, le faux-semblant, le sensationnel voire assimilée au marronnage. C’est avant tout un système de tri entre les bons et les mauvais. Ce système fonctionne bien pour soixante-dix pour cent (70 %) des élèves aisés et trente pour cent (30 %) pour les autres qui sont en majorité issus des milieux populaires. Bref, c’est l’effet de miroir !

Cela consacre donc l’échec de ‘‘l’acte d’éduquer’’ consistant à ‘‘former de véritables machines à reproduire les inégalités sociales, l’exploitation outrancière et la corruption endémique de génération en génération’’, scellant à jamais le destin de la jeune nation émergée des griffes de la domination coloniale.
Malheureusement, Ce constat s’applique à tous les niveaux de l’échelle sociale et dans toutes les sphères de la vie nationale indépendamment des fonctions occupées par les personnes et des rôles sociaux qu’elles assument temporellement.
En vue de corroborer ce qui vient d’être énoncé, il y a souvent une discordance de la pensée, de la vie émotionnelle et du rapport au monde extérieur qui se manifeste dans nos actions quotidiennes et nos prises de position. On se révolte contre un état de fait au nom du grand principe et, quand il faut prendre des décisions, on prône le contraire de ce que l’on a toujours prêché et défendu. On est nommé pour faire des lois et établir des règles de fonctionnement social ; on devient les premiers à demander de les mettre en veilleuse lorsque ces lois et ces règles ne font pas notre affaire. On signe des conventions et des ententes qu’on est les premiers à violer une fois celles-ci signées. On se donne des règles de conduite dans les organisations et au sein de l’État que l’on met de côté tout de suite après pour sombrer dans l’arbitraire, l’anarchie et l’improvisation. Bref, l’élitisme intellectuel ou l’élitisme scolaire n’est pas au service du dessein national !
Dans ce contexte, difficile certes, comme tout système éducatif forme un bloc avec le système politique à la fois dans la vision et dans la structure, que les acteurs en soient conscients ou non, en Haïti, on fait de la ‘‘déviance une règle’’. En effet, nos élites, encore aujourd’hui, ne parviennent pas à définir un plan éducatif ni à construire un système politique viable, ni même, dans le plus simple des cas, s’appuyer avec sérieux sur un système déjà existant. Or, de même qu’il est difficile, voire impossible de parler de gouvernance transformatrice en dehors de processus stables, il y a une incohérence de base à parler de processus éducatif sans projet de société.
D’où l’impérieuse nécessité d’un changement de ‘‘paradigme éducationnel’’ applicable et réalisable qui consiste en une éducation individuelle et non sociale, négative et non conformiste, concrète et non livresque, expérimentale et pratique plutôt qu’intellectuelle et abstraite. Tout en cultivant ardemment l’esprit scientifique du prix Nobel de physique 1921, Albert Einstein selon lequel : « Le vrai signe de l’intelligence n’est pas la connaissance, mais l’imagination. Et la seule source de connaissance c’est l’expérience ».
En faisant appel à ce changement de ‘‘paradigme systémique’’, on accroit ainsi la possibilité d’accéder à une meilleure compréhension de la réalité complexe de l’éducation en Haïti dans sa quête inlassable de l’établissement d’un ‘‘environnement scolaire et universitaire de qualité et de modernité’’ axé sur un ‘‘corpus de valeurs morales, éthiques, sociales, économiques et culturelles.’’
Mais d’abord, pour justifier le besoin ultime d’appliquer telle ‘‘réforme éducationnelle’’ à une société quelconque, il faut pour l’analyse ou la synthèse, mettre en lumière les défauts et les qualités de cette société et ensuite préconiser les moyens qui paraissent les plus aptes à féconder ces qualités et à combattre ces défauts. Pour y parvenir, rien ne parait plus indiqué que :
- Investir dans la vie des enfants le plus tôt possible
- Généraliser l’accès à la formation pré-scolaire et former des professionnels de la petite enfance
- Se focaliser et exploiter les acquis des enfants à la maternelle et au primaire.
- Valoriser le métier d’enseignant
- Réduire les écarts des résultats liés aux inégalités sociales
Au bout du compte, pour gagner en cohérence, il faudra choisir une ‘‘éducation adaptable et adaptée’’ aux spécificités haïtiennes. C’est à ce prix que, d’un commun accord, et dans la convergence des efforts, on pourra ‘‘bâtir des élites vraies, authentiques, sincères, cohérentes, sérieuses, efficaces, responsables, viscéralement respectueuses des lois et des règles républicaines, même lorsque celles-ci vont à l’encontre de leurs intérêts personnels.’’
C’est donc là le vrai défi du système éducatif haïtien : « façonner les citoyens et citoyennes pour une société qui se veut résiliente et démocratique. »
Port-au-Prince, le 3 avril 2023
Professeur Jean Gary Michel
Expert en Management des Collectivités Territoriales
Consultant Senior en décentralisation et développement local